Le label ISR, label trompeur 

Mai 1, 2024

La réforme du Label ISR (Investissement Socialement Responsable) de l’Etat français est entrée en vigueur le 1er mars 2024. A l’encontre de son objectif affiché, elle est très dommageable pour la lutte contre le réchauffement climatique.  

Le label ISR vise de facto à exclure les entreprises pétrolières cotées européennes, les mieux disantes en matière  d’environnement

En effet, il exclut désormais « les entreprises qui lancent de nouveaux projets d’exploration, d’exploitation ou de raffinage d’hydrocarbures (pétrole ou gaz) ».

Ce label étant utilisé très majoritairement par les sociétés de gestion françaises, le périmètre de cette exclusion des portefeuilles vise en pratique surtout les entreprises pétrole et gaz européennes et cotées, c’est-à-dire moins de 5% de la production mondiale. Et il s’agit avant tout d’exclure les actions de TotalEnergies, la plus présente dans les portefeuilles français et qui a de nouveaux projets d’hydrocarbures. Les Echos ne s’y trompent d’ailleurs pas, prévoyant dans la foulée l’expulsion des dernières actions BP et surtout de TotalEnergies du portefeuille de la masse des fonds « ISR ».

Ces deux entreprises viennent pourtant de devenir les premiers investisseurs dans l’éolien marin européen en remportant l’appel d’offres allemand de 13 milliards €. Plus généralement, ce sont les entreprises pétrole et gaz les mieux disantes en matière d’environnement. Il suffit par exemple de lire le dernier rapport de l’Agence internationale de l’Energie (IEA) sur la transition « net zéro » des entreprises du secteur[1], selon lequel plus de 60% des investissements en énergies propres du secteur proviennent de seulement quatre entreprises qui représentent moins de 5% de la production mondiale : TotalEnergies, BP, Shell et Equinor (l’entreprise publique norvégienne).

Le Label ISR allié objectif du pétrole « sale » ?

C’est une réforme idéologique qui ne mesure pas son impact sur l’économie réelle, et semble ignorer le fonctionnement de l’économie et des marchés de capitaux.

Premier problème, La production d’hydrocarbures est d’abord engendrée par la demande mondiale et non l’inverse : cette exclusion ne visant en réalité que moins de 5% de la production mondiale poussera encore plus les investisseurs français européens à vendre au rabais ce qui leur reste des titres de ces entreprises pétrolières, mais ne fera certainement pas baisser d’un iota la demande de pétrole qui est pourtant le problème clé de la transition énergétique.

Ensuite, l’offre de pétrole est mondiale et non pas cantonnée aux frontières de la France et de l’Europe : la pénalisation et la dévalorisation croissantes des seules entreprises pétrolières européennes et cotées -c’est-à-dire accessible aux investisseurs –  est un magnifique cadeau aux vraies « majors » du secteur –  Saudi Aramco et consorts (la première entreprises pétrolière mondiale, suivie de deux compagnies chinoises) – mais aussi aux hedge funds et aux investisseurs non européens, pas exactement les « best in class » en termes d’ « ESG ». D’ailleurs, l’Europe toutes industries comprises n’engendre que 7% des émissions de CO² mondiales : il est grand temps de redéployer les investissements en dehors de notre Continent. C’est là que se joue la bataille contre le réchauffement climatique. De cela le Label ISR ne souffle mot.

Le nouveau label ISR, non seulement ne fera pas baisser la consommation de pétrole et de gaz, mais risque de contribuer à rendre la production du pétrole encore plus « sale » en termes d’ESG, en sanctionnant uniquement les entreprises les plus performantes du secteur en termes d’environnement, et en favorisant encore plus les entreprises les moins impliquées dans ce domaine, et non soumises aux règles européennes en matière d’ESG et de droits des actionnaires.

L’exclusion est une approche d’investissement durable contreproductive

Plus généralement, la réforme du Label ISR est guidée par « un alignement progressif des portefeuilles ISR sur l’accord de Paris ». Or ce ne sont pas les « portefeuilles » qui doivent s’aligner, mais l’économie réelle, ce qui est très différent.

Les chercheurs Shue et Hartzmark [2] (Yale University et Boston College) l’ont clairement démontré : «si une firme « marron » change ses émissions de seulement 1% en plus ou en moins, c’est beaucoup plus significatif qu’une firme « verte » typique qui change ses émissions de 100% ». Accroître les investissements dans les titres d’entreprises cotées déjà « vertes » (Microsoft, Alphabet, les banques, etc.) et les exclure dans ceux des entreprises « marrons », non seulement ne verdira que marginalement les premières, mais est très dommageable au verdissement des secondes, seules en mesure d’effectuer une véritable transition climatique, mais privées d’investissement « durable ».

L’approche d’investissement durable dite de l’exclusion négative (ou positive), c’est-à-dire du désengagement, ainsi retenue est certes intuitive et la plus facile à exécuter, mais aussi la plus dommageable à l’environnement en phase de transition énergétique. Elle est en effet la plus sujette au « greenwashing » car elle ne souffle mot aux épargnants de ses impacts sur l’économie réelle. Et pour cause.

La nécessaire transition énergétique et environnementale exige des approches d’investissement durable beaucoup plus appropriées, plus courageuses et ayant pour objectif d’impacter positivement la transition environnementale et ESG, comme l’engagement actionnarial des investisseurs « institutionnels » et particuliers (quand on leur en donne les moyens), et l’approche « best in class », et non le désengagement qu’on pourrait aussi bien appeler l’approche « courage, fuyons».

Cette nouvelle et irrationnelle « réforme » du label français vient s’ajouter à celle permettant la labellisation ISR massive des fonds monétaires, c’est-à-dire de très court terme, et accroit encore les risques élevés de « greenwashing » de ce label. Enfin, le Comité du Label ISR exclut depuis quelques années la représentation des épargnants en produits labélisables, la principale partie prenante, pas consultée sur cette réforme. Bel exemple de gouvernance.

La Commission européenne vient de proposer une évolution de la catégorisation des fonds « verts » (révision du Règlement « SFDR »). Parmi les nouvelles catégories proposées figurent celle des fonds avec une approche d’exclusion, et – pour la première fois – celle des fonds focalisés sur la transition environnementale. Ne répétons pas la même erreur que pour le Label ISR et appuyons-nous cette fois sur les faits en excluant l’exclusion, et en focalisant les épargnants sur la transition la plus rapide possible d’une économie encore massivement « marron » à une économie plus « verte ».

Guillaume Prache

Fondateur de BETTER FINANCE, la Fédération européenne des épargnants

Ancien membre du Comité du Label ISR


[1] The Oil and Gas Industry in Net Zero Transitions – Analysis and key findings. A report by the International Energy Agency, novembre 2023

[2] Counterproductive Sustainable Investing – the impact elasticity of brown and green firms, Pr. Kelly Shue and Samuel Hartzmark, 2023